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HOMMAGE à François AMOUDRUZ, un Eclaireur de France à Clermont-Ferrand

HOMMAGE à François AMOUDRUZ, un Eclaireur de France à Clermont-Ferrand
Actu nationale

L’Éclaireur de la “Mémoire de la déportation”

François Amoudruz nous a quitté ce lundi 21 juillet 2020 . Ancien Éclaireur de France, arrêté par la Gestapo le 25 novembre 1943 -Il a 17 ans- dans l’enceinte de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand où il venait tout juste d’entreprendre des études de droit, il sera déporté, reviendra de sa déportation à Buchenwald puis Flossenbürg après avoir survécu aux “marches de la mort”(1). Tout au long de sa vie si riche et occupée professionnellement, familialement, socialement, mais aussi par ses engagements politiques, il va se consacrer à ce qu’il décrit lui même dans le numéro 85 de la revue de l’Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (Octobre-décembre 2018) comme étant le fait “d’accomplir un devoir d’histoire et mettre ma mémoire de témoin et d’acteur au service des générations qui suivent”

Il naît le 7 septembre 1926 à Albertville (Savoie) dans une famille haut savoyarde très laïque. Suivant les mutations professionnelles de son père, haut fonctionnaire des “Contributions directes et du cadastre”, il arrive en Auvergne en 1934. Installé à Clermont-Ferrand, il est inscrit pars ses parents au cours de l’été 1940 (Sa mère est professeur de lettres dans l’Enseignement Primaire Supérieur) aux Eclaireurs de France. Il est Éclaireur dans la “Troupe des Bouleaux Blancs” puis, à partir de 1942, Routier au sein du “Clan Jean Mermoz” dont le chef de clan est François TRIPART.

“ L’atmosphère de camaraderie, l’esprit d’équipe qui y régnait, le goût de l’imagination, dormir sous la tente, faire de l’hébertisme, des feux de camp, les jeux, les explorations, vivre à la dure, tout me convenait et m’intéressait.”(2). Il entre à l’automne 1943 en première année à la faculté de droit de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand (3) .

Le 25 novembre, il est arrêté dans le cadre de la “Rafle de l’Université de Clermont-Ferrand” : 1200 personnes interpellées, 130 finalement arrêtées pour être déportées. 30 seulement reviendront en mai-juin 1945 (4).

François fera partie de ces “trente”. Il est conduit au “92”. “On m’embarque en traction avant, direction le ”92”, ex caserne du 92e régiment d’infanterie. Accueil brutal, confiscation de mes livres de droit et autres documents. Je vais rester cinq semaines dans la cellule 43, ponctuées par un interrogatoire sans grand intérêt et sans gravité corporelle” .Au sujet de son état d’esprit avant l’interrogatoire, il indique dans un entretien accordé au “Département audiovisuel” de l’Université de Strasbourg en janvier 2020 (5) : “Ma grande crainte avait été , quand je suis arrivé en cellule avait été d’être interrogé sur ma famille et torturé pour me faire parler. Et s’ils me torturaient, pourrais-je encore jouer du piano…”. Quelque temps après son arrestation , il est donc extrait de sa cellule pour cet interrogatoire auquel il s’était préparé . Et il découvre à cette occasion que la coordination entre autorités françaises et allemandes et entre Gestapo et administration allemande présente des failles. C’est ainsi qu’il n’est interrogé ni sur sa sœur Paulette ni sur son beau-frère, Serge FISCHER, bibliothécaire à la “Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg repliée” ancien dirigeant en 1926 de l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg et militant communiste (6), ni sur son “chef Routier” François TRIPART qui avait tenté, le mois précédent, d’abattre le chef de la Milice local et dont l’arme s’était enrayée. “Ils m’ont interrogé surtout sur les Éclaireurs de France”.

Un interrogatoire “sans grand intérêt et sans gravité” qui va tout de même se prolonger par une déportation vers les camps de concentration nazis et qui va sceller son destin!

A la fin du mois de décembre 1943, il est envoyé au Camp de Royallieu près de Compiègne qui est un “camp de transit nazi”. Le 17 janvier 1944, il est déporté par un convoi au départ de Compiègne , vers le camp de concentration de Buchenwald où il arrive le 19 janvier puis est finalement enfermé au Camp de concentration de Flossenbürg , sur la frontière tchèque à partir du 23 février. Il est affecté au “S.S. Kommando de Johanngeorgenstadt dans l’ Erzgebirge où il travaille de force sur des chaînes de fabrication d’avions Messerschmidt . Au cours de son intervention lors de la journée de la mémoire de novembre 201” à laquelle l’association des “Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation” fait également référence dans son communiqué du 23 juillet, François AMOUDRUZ nous avait présenté ainsi la fin de sa déportation:” En avril 1945, alors que la guerre tire à sa fin, le commandant SS de notre Kommando rassemble tous les détenus, y compris les malades. Il vient d’être décidé d’évacuer le camp. Les « marches de la mort » commencent dès notre arrivée en territoire tchèque (région des Sudètes). Il s’agit de nous exterminer par l’épuisement, le froid rigoureux, la faim qui est telle qu’il y eut des cas d’anthropophagie. Disposant encore de quelques forces, j’essaie de me rendre utile, d’aider un camarade à marcher. Mais c’est en vain. Il ne peut plus, et ne veut plus avancer. Pour lui, c’est fini. Ceux qui arriveront à se traîner jusqu’au ghetto de TEREZIN seront décimés par le typhus. Avec un autre camarade, et dans des conditions rocambolesques, je réussis à m’évader de cet enfer. Mais une paysanne effrayée sans doute par nos vêtements et nos mines patibulaires va nous dénoncer et nous serons repris. Après d’autres péripéties, où nous frôlons à nouveau la mort, je m’écroulerai d’épuisement à KARLSBAD, dans une cellule de la police criminelle.. C’est là que je serai libéré le 8 mai 1945. Après avoir erré dans KARLSBAD (KARLOVYVARY) en survivant grâce aux troupes de choc soviétiques, je rentrerai en France le 24 mai 1945, transporté en wagon à bestiaux. A METZ, quand mes parents ont pu venir me chercher, je pesais trente kilos et ma tension artérielle était celle d’un mourant.”.

Il rentre effectivement en France le 24 mai , arrive en gare de Metz où ses parents, sa soeur et son beau frère, lui aussi revenu vivant de déportation, le retrouvent.

Il pèse précisément trente et un kilos. Il va lui falloir deux ans pour retrouver le chemin des études de droit qu’il reprend en 1947. A l’issue de celles-ci, il devient durant un court moment avocat puis rejoint le milieu bancaire en intégrant le Crédit Industriel d’Alsace-Lorraine (C.I.A.L.) appartenant au réseau des banques régionales et locales du Groupe C.I.C. Il y occupe des postes de juriste qui lui permettent de devenir successivement directeur du contentieux, directeur du crédit puis directeur central. L’Éclaireur n’est pas loin dans le déroulement de cette carrière. Le 4 juin 1998, alors qu’il est déjà à la retraite, il est auditionné en tant que “juge consulaire” par une “commission d’enquête parlementaire sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce”. Il y déclare: “Il est clair que par formation et par goût, j’avais vocation à entrer dans la magistrature consulaire. J’ai été élu en 1974, après que ma candidature eut été proposée par le comité des banques d’Alsace. De 1974 à 1982, j’ai exercé mes fonctions de juge consulaire sous l’autorité d’un magistrat professionnel, puisque nous sommes sous le régime de l’échevinage”. Et vient son dialogue avec le député, président de la commission d’enquête (qui s’avère être lui aussi un ancien E.D.F. puis E.E.D.F. sans qu’ils le sachent l’un l’autre).

Le président le questionne: “À l’époque, vous étiez en fonction. Cela ne posait-il pas de problème ? » Et François Amoudruz de répondre : « Cela ne m’a posé aucun problème. D’autant moins que, compte tenu de mon tempérament, dès que j’entendais un nom qui pouvait m’être connu de par l’exercice de mon métier, je refusais de siéger. Il est arrivé que le président me dise que j’étais capable de faire le tri, de taire mes fonctions professionnelles, d’agir en conscience et en toute liberté de jugement, mais j’ai toujours refusé. Je lui répondais, par exemple : il s’agit d’une entreprise dont je sais qu’elle est cliente de mon établissement, avec laquelle nous avons pu avoir maille à partir et il est clair que je ne siégerai pas ». Réaction du Président : “C’est plus facile à faire dans les grandes villes que dans les petites”, ce qui lui vaut la vive et courte remarque de François: “ Peut-être”. Le personnage est là!

Son “grand oeuvre” sera la conservation de la “Mémoire de la déportation” au nom du “devoir d’histoire”. Avec une devise: “ Ni haine ni oubli”. A l’issue de sa vie professionnelle, il adhère à la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes. C’est là qu’il va retrouver nombre d’anciens ou toujours E.D.F. et F.F.E. Il va bientôt y prendre des responsabilités régionales et nationales. Il en deviendra Vice-président puis Président-délégué. C’est à ce titre que l’Association pour l’Histoire du Scoutisme Laïque est mise contact avec lui par l’intermédiaire du Secrétaire général de la F.N.D.I.R.P., lui-même ancien E.D.F. de Périgueux. Parallèlement, il rejoint “Fondation pour la Mémoire de la Déportation” où il retrouvera des anciens E.D.F. et F.F.E. comme Denise VERNAY et sa soeur, Madeleine REBERIOUX-AMOUDRUZ, membre du “Comité de parrainage” au titre de sa fonction de Présidente de la Ligue des Droits de l’Homme (7).

Il n’aura de cesse, pendant toutes ces années, de témoigner sur ce qu’était la déportation et l’extermination de catégories de personnes considérées comme “Ennemis du Reich” ou faisant partie des “Untermensch” (littéralement «sous-homme», terme utilisé par les nazis pour décrire des «personnes inférieures» non- aryennes) et autres “personnes indésirables”. Il rencontrera des milliers de lycéens et de collégiens, participera aux jurys du Concours National de la Résistance et de la Déportation, contribuera activement à la vie de la F.N.D.I.R.P., de la F.M.D. et des A.F.M.D., fera référence presque toujours à son passé E.D.F. et à ce que sa vie scoute lui avait apportée, expliquant simplement comment celle-ci l’avait mise sur le chemin de ses engagements. Un jeune historien alsacien dit de lui : « Quand il évoquait sa déportation, on avait l’impression qu’il la revivait. Il en parlait avec beaucoup d’humanité ». Quant à Frédérique NEAU-DUFOUR, historienne et membre du Conseil d’administration du Souvenir Français qui a été de 2011 à 2019 directrice du “Centre Européen du Résistant-Déporté”, elle le présente ainsi : “Il était très soucieux que cet héritage ne soit pas oublié, ni dévoyé. Pour moi, c’était avant tout un homme engagé, un militant des Droits de l’Homme. François AMOUDRUZ était Médaillé de la Résistance, Médaillé de la Déportation et de l’Internement politique et Commandeur de la Légion d’honneur .

Un grand merci à Henri-Pierre DEBORD pour cet article qui rend hommage à François Amoudruz.

La cérémonie d’hommage et d’adieu à François Amoudruz se tiendra au Centre funéraire de Strasbourg, 15 RUE DE L’ILL, 67000 STRASBOURG ROBERTSAU, lundi 27 juillet à 14h30.

(1) Les marches de la mort sont mises en place par les Nazis à la fin de la
seconde guerre mondiale alors que les Alliés se rapprochent des zones
d’implantation des camps de concentration et d’extermination. Elles
consistent à déplacer les déportés (restés vivants au moment de l’évacuation des camps par les Allemands) au cours de longues marches dont l’un des buts est d’éliminer physiquement ceux-ci . La moitié disparaîtra dans ses conditions.
(2) Témoignage présenté à la journée de la mémoire du scoutisme laïque (Page des Actes) (Ecole militaire Paris 30 novembre 2013 ) https://fr.calameo.com/read/00535083799e426270619
(3) Université de Strasbourg durant l’annexion de l’Alsace (1939-1945):
https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Strasbourg#L’universit%C3 %A9_durant_l’occupation
(4) Rafle de l’Université de Clermont-Ferrand https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_de_Clermont-Ferrand_(25_novembre_1943)
(5) https://www.youtube.com/watch?v=4y-K3wut0ik&t=1438s
(6) Serge Fischer : https://maitron.fr/spip.php?article136297
(7) Madeleine Rébérioux: http://www.bibliomonde.com/auteur/madeleine-reberioux-1314.html

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